La Grande Retraite
ou Retraite de la Marne
(27 août au 4 septembre 1914)

Abel CASTEL
Henri ROTH
27 août 1914
Transportés par 163 trains, la VIe armée se regroupe sur la Somme, autour de Montdidier. Ses éléments les plus nombreux viennent de l'Est. Le parcours est long, encombré de convois. Les fantassins du 7e corps grimpent dès le 25 août dans les wagons près de Belfort. Une partie de la 14e division (35e RI...) est en place le 27 août au soir. Par contre le général Vautier qui commande le 7e corps devra attendre plus longtemps l'arrivée de la 63e division qui commence à embarquer à Belfort le 27 août seulement.
Le 27 août, à Longueau, nous faisons une 1ère rencontre de nos alliés les Anglais 21 ; ils ont à peu près la même tenue que les Allemands à part le casque qui est remplacé par la casquette. Alors le 27 août nous débarquons à Corbie 22 à 10 heures du matin. Cette jolie petite ville marque aussi une victoire française sous Louis XIII : les milices françaises commandées par le duc d'Enghien gagnent la victoire contre les Espagnols commandés par le duc de Fuentès. Dans cette ville, nous sommes bien reçus par la population qui nous donnent de quoi boire et manger. Nous y restons une heure et nous en repartons par une pluie torrentielle dans la direction du nord. Nous arrivons dans le village de Varefusée 23 (Somme) où nous croyions cantonner. Nous y faisons la soupe et quand elle est prête à être mangée, il faut partir ; la compagnie reçoit l'ordre de se porter en arrière. Donc nous partons sans rien passer, nous passons une 2e fois à Corbie et nous venons cantonner à Daours à l'ouest de Corbie. 
 
21 ils ont débarqué en France du 7 au 16 août 
22 le régiment rejoint alors la VIe Armée de Maunoury basée sur ce front 
23 Lamotte-Warfusée

Après un voyage de 35 heures, passés dans des fourgons, nous débarquons à Corbie 14. Tout le long du parcours, des personnes nous ont distribué des quantités de boissons, victuailles, etc... Depuis 8 jours nous ne vivions que de pains et de conserves. 
 
14 dans la Somme
28 août 1914
28 août 
Le 28 août, réveil à 4 heures et demie. A sept heures, nous avons exercice par punition commandé par le Capitaine Engel qui était alors passé commandant du bataillon. Le soir nous couchons encore là…
Nous nous reposons à Corbie Fouille 15, nous en avons grand besoin. Nous prenons un bain dans un affluent de la Somme. 
 

15 Fouilloy. Un mémorial australien y est implanté.
 

29 août 1914 : Lanrezac et sa 5e armée bat von Bülow (1ère Armée ; 5 800 Allemands tués) à Guise ("coup de butoir de Guise"), ce qui évite aux Anglais d'être encerclés et retarde l'avancée allemande. 
L'armée de Kluck (2e Armée) se dirige vers l'est de Paris au lieu de Rouen, pour soutenir Bülow. 
La 14e Division, à peine débarquée d'Alsace, est violemment attaquée par des Poméraniens. Elle doit faire retraite sans attendre le ralliement des autres unités.
Historique du 35e RI (p.8) : "L'envahisseur qui s'avance trouve là encore le 35e devant lui, sur les bords de la Somme à Harbonnières-Proyard. Le combat dure toute la journée du 29 et, le soir, on doit, devant le nombre et dans l'ordre, battre en retraite."
JMO du 35e RI (pp.11-12) : "Des tranchées sont organisées [...] Le 3e Btn attaque Frenerville en le débordant ; le mouvement s'exécute facilement. A 150 mètres de Frenerville une Cie prête à se jeter à la baïonnette sur la tranchées ennemies reçoit l'ordre de battre en retraite à 16h30 [...] le 60e ayant lâché les tranchées, un vide s'était produit [...]. Le IIIe Btn reçoit l'ordre de lâcher Harbonnières dès qu'il serait dépassé par l'arrière-garde. La retraite est soutenue efficacement par l'artillerie. [...] Les troupes sont très fatiguées n'ayant pas mangé depuis 24 heures et ayant fait une vingtaine de kilomètres."
… et le lendemain 29 août à 3 heures, nous partons en avant 24. Nous marchons jusqu'à midi et nous commençons d'entendre la fusillade. Ce sont nos braves chasseurs à pied qui se battent à Rosières 25 ; nous allons les renforcer en nous plaçant à leur droite dans la plaine de Bayonvillers 26. C'est alors que commence notre premier combat dans le Nord. Il se termine assez tard dans la soirée et nous sommes déjà forcés de battre en retraite. L'artillerie allemande tire dans nos lignes sans nous causer de pertes. Notre bataillon recule et nous marchons toute la nuit. 
 
24 à l'ouest 
25 Rosières-en-Santerre 
26 Bayonvillers est au nord-ouest de Rosières-en-Santerre
Nous partons à 3 heures du matin. Nous avions déposés nos sacs sur la place de Fouilloie 16, mais nous devons les reprendre. Nous repartons et traversons un village où se trouve l'état major du Corps d'Armée. Nous creusons des tranchées devant ce village. 
Vers midi, nous repartons à travers champs. Le canon tonne, la bataille est engagée 17 devant nous et des villages brûlent. 
A notre tour, nous sommes engagés à Harbonnières, déployés en tirailleurs dans la luzerne. L'ennemi est à la lisière du village juste devant nous. 
Quand nous recevons l'ordre de nous replier, l'ennemi était face à nous, mais notre gauche avait été enfoncée. Nous nous replions en ordre couverts par notre artillerie qui inflige de nombreuses pertes à l'ennemi.  
Les allemands nous bombardent également, mais leurs obus ont peu d'effet. Toutefois j'en reçois un éclat au dessus du genou droit. J'ai une forte talure mais je peux quand même marcher. 
Notre régiment se rassemble en arrière de Harbonnières. Un avion allemand signale notre emplacement en lançant une fusée. Nous nous replions. 
Le combat a été très dur, le Régiment a subi d'assez fortes pertes. 4 hommes de mon escouade sont touchés. Je fais le pansement de l'un d'eux qui est blessé au bras par une balle. 
2e classe Doucelance blessé 
2e classe Charbonnel blessé 
2e classe Tissot blessé 
2e classe Sorbec blessé 
 
16 Fouilloy 
17 attaque des Poméraniens

30 août 1914 : le général Joffre ordonne un repli général sur la Seine des 3, 4 et 5e Armées alors que la 6e couvre Paris. A partir du 30 août, la retraite opérée à pied vers le sud en direction de Paris, transforme déjà les renforts constitués des troupes venues de l'Est, en troupes exténuées.
A 4 heures du matin, le 30, nous arrivons à Béquigny 27 où nous nous reposons à onze heures. Nous reprenons notre marche en arrière et nous nous dirigeons sur St-Just-en-Chaussée, mais notre bataillon ne s'y rend pas directement et cantonne au delà de Montdidier. 
 
27 Becquigny (soit une marche d'environ 22 km) 

Nous nous replions sur Paris 18, nous passons par Montdidier et nous passons la nuit à Saint-Just-en-Chaussée. Distance parcourue : [?]
 
18 la 6e Armée, commandée par Maunoury, a en effet reçu l'ordre de couvrir Paris
31 août 1914 : émoustillé par l'appel de Bülow, Kluck fonce vers le sud-est et franchit l'Oise, croit déborder l'aile gauche alliée sur Compiègne : la ville sera occupée du 31 au 12 septembre. 
Les Allemands pénètrent dans Amiens. Maunoury prévoit déjà le retraite jusqu'à Senlis. L'Armée française poursuit son repli, mais dispose désormais sur son aile gauche d'une masse de divisions nouvelles, disponibles pour l'heure de la bataille de la Marne.

Le 31 août, à 5 heures, nous quittons St-Just, en nous dirigeant sur Clermont 28. Nous marchons par une chaleur accablante et les hommes tombent de fatigue et de soif, car pas d'eau. C'est déjà notre 3ème jour de marche. Enfin à 4 heures du soir nous sommes bien accueillis par la population qui nous donne de quoi manger. Ensuite nous allons cantonner à Pitz-James 29 où comme tout repos, je prend la garde toute la nuit. 
 
28 28 km de Compiègne, où se trouve l'armée de Kluck 
29 Fitz-James (près de Clermont)

Nous quittons dans la matinée Saint-Just et arrivons dans l'après-midi à Clermont, nous revenons un peu en arrière et passons la nuit dans une ferme à Fitz-James.
1er septembre 1914 : les Anglais font preuve d'une résistance peu commune au nord de Compiègne en repoussant une attaque Allemande. 
Joffre continue à tenir en main ses généraux d'armée. Il ordonne à la VIème Armée d'opérer son repli "sur la capitale". 
A propos de ce repli, le Général de Gaulle écrira plus-tard : "ce fut la fortune de la France que Joffre, ayant mal engagé l'épée, ne perdit point l'équilibre". 
Des reconnaissances aériennes françaises et britanniques signalent des colonnes ennemies marchant vers le sud - sud-est. Les renseignements portés sur une carte trouvée sur un officier allemand fait prisonnier indiquent que l'armée de Kluck toute entière a franchi l'Oise à hauteur de Compiègne et de Verberie et infléchit sa progression ver le sud-est.

Nous restons encore là toute la journée du 1er septembre en nous mettant en liaison avec l'armée anglaise.
Au matin nous allons prendre les avant-postes dans un bois devant Fitz-James 19. Le soir nous nous retirons dans un chemin creux pour y passer la nuit déployés en tirailleurs. 
 
19 Bois Saint-Jean
2 septembre 1914 : les villes de Roye, Laon, Rethel, La Fère succombent aux Allemands qui arrivent à Senlis et Chantilly. L'armée de von Kluck "infléchit sa direction" en laissant Paris sur la droite exposant son flanc droit à Maunoury : Moltke indique qu'il faut "pousser les Français loin de Paris en direction du sud-est". Cependant l'aile droite allemande apparaît affaiblie. 
Le Général Galliéni organise la défense de Paris avec la 6ème Armée. Les Allemands sont a Senlis. La ville d'Amiens est occupée jusqu'au 17 (elle sera rançonnée et des otages déportés). 
Le Président de la République et le gouvernement quittent Paris pour Bordeaux.

JMO du 35e RI (p.12) : "Cette Cie (10e) a à faire avec une compagnie cycliste allemande appuyée par de l'artillerie. La 10e perd 12 hommes."
Le 2, nous reprenons de nouveau la marche et c'est à ne plus rien comprendre avec cette marche arrière. Nous passons à Clermont, Cambronne 30, Val-de-Flandre, Uels, Saint-Leu 31, Villeu 32, Boran 33. Dans ce dernier village, notre ???? et prend les avant-postes. 
 
30 Cambronne-lès-Clermont 
31
Saint-Leu d'Esserent ; à 12 km de Senlis et moins de 4 km de Chantilly où arrive ce jour l'armée de Kluck 
32
sans-doute Villers-sous-Saint-Leu 
33
Boran-sur-Oise
Au matin, nous recevons l'ordre de nous replier en arrière de Clermont. 
Une de nos section n'étant pas encore rentrée, et notre compagnie pour l'attendre, s'est arrêtée. Dans un champ à flanc de coteau, les hommes marquent une pause. 
Tout à coup, nous sommes pris sous une violente fusillade d'une compagnie cycliste allemande que nous n'avions pas vu arriver et se déployer le long de la grande route de Clermont à Saint-Just située à environ 800 mètres de nous. 
Surpris par cette attaque nous nous déployons tant bien que mal en tirailleurs et tirons sur l'ennemi... 
Pendant que nous répondons au feu de l'ennemi, la compagnie se replie par sections hors de la zone battue par le feu ennemi. La compagnie reformée se retire en arrière de Clermont. 
Pendant ce combat, notre compagnie a eu plusieurs tués et environ 20 blessés. Dans mon escouade j'ai un tué (blessé achevé par les allemands d'un coup de fusil tiré dans la tête à bout portant), ainsi qu'un blessé d'une balle dans la cuisse. 
2e classe Seigneur tué 
Les pertes de la compagnie cycliste ont été supérieures aux nôtres, ce que nous avons su plus tard par nos blessés prisonniers abonnés à l'hôpital de Clermont en battant en retraite 20
Nous continuons notre mouvement de repli, franchissons l'Oise juste avant que le génie ne fasse sauter les ponts. Nous passons la nuit dans un village qui s'appelle Asnières-sur-Oise. 
 
20 quelques jours plus-tard, pendant la bataille de la Marne
3 septembre 1914 : Molkte demande à Kluck de la 1ère Armée de protéger le flanc de la 2e Armée de Bülow. Les pilotes de la RFC révélent que les Allemands foncent vers le sud-Est et vont passer à l'Est de Paris. Von Kluck est trop avancé. 
Le 35e RI effectue avec la VIe Armée la retraite qui amène le régiment, le 3 septembre, à Louvres à 20 kilomètres de Paris (point extrême atteint par les troupes allemandes).

Historique du 35e RI (p.8) : "Nous arrivons ainsi jusque sous Paris à Louvres quand, le 3 septembre, nous recevons l'odre de faire à nouveau face à l'ennemi."
Le 3, nous quittons Boran, en faisant sauter les ponts derrière nous 34. Les familles du Nord et de la Belgique reculent dans la direction de Paris. Nous passons à Viarmes, Belley 35, Villers-le-Sec, Mareil-en-France 36, nous poussons notre marche jusqu'à une ferme à proximité de l'usine à cartouches de Survillers 37. Nous y couchons… 
 
34 sur l'Oise 
35 Belloy-en-France 
36 à moins de 20 km des portes de Paris 
37 Survilliers ; à 5 km du Parc Astérix. A ce moment les Allemands sont au Nord, à l'Est et même au Sud

 

Nous reprenons l'offensive, changeons de direction et nous passons la nuit à Survillers.
4 septembre 1914 : des reconnaissances de cavalerie quittent le camp retranché de Paris. Leurs renseignements confirment ceux déjà recueillis par l'aviation : la route de Senlis à Paris est vide... . Joffre accepte la proposition de Galliéni de prendre von Kluck au flanc par l'attaque de Manoury au Nord (ordre général n°6 : le 6 au matin, les Français prendront l'offensive). Moltke réagit et craint une offensive venant de Paris, qu'il ne prévoit pas avant le 7. Il ordonne à Kluck de repasser la Marne.
… et le lendemain 4 septembre nous revenons à la cartoucherie où nous faisons soupe et café. A 5 heures du soir, départ de notre compagnie aux avants-postes du village.
Repos à Survillers. Je passe la visite 21. Depuis 6 jours je peux à peine marcher. La talure faite par l'éclat d'obus que j'ai reçu lors des combats d'Harbonnières a enflée. Le major m'envoie sur un dépôt d'éclopés. On me conduit; ainsi que plusieurs de mes camarades en gare du Bourget pour y passer une seconde visite. De là, on nous dirige sur Sotteville-les-Rouens où nous débarquons au matin du 5. 
 
21 médicale