Bataille des Frontières - Campagne d'Alsace
Bataille de Mulhouse (7-10 août 1914)
Bataille de Dornach (19 août 1914)

Abel CASTEL
Henri ROTH
7 août 1914 : entrée des troupes françaises de la 1ère Armée des Généraux Dubail et Bonneau (7e Corps d'Armée) en Alsace. C'est le début de la "bataille des frontières", avec en particulier la "bataille de Mulhouse".
Historique du 35e RI (p.7) : "[...] le 7 août joyeusement, sur les traces de son chef, le colonel de Mac Mahon (fils du Maréchal), foulait la terre des provinces chéries, livrait le combat à Burnhaupt [...]"
JMO du 35e RI (p.7) : "Le 2e Btn [...] reçoit l'ordre d'attaquer Burnhaupt-le-Bas, occupé par des forces ennemies retranchées. [...] La 6e [compagnie] était échelonnée à la droite  de la 7e et la 8e à la droite de la 6e. [...] Les 9e, 10e et 11e Cies restent en réserve. [...] A 11h30, le régiment s'emparait de Burnhautp-le-Bas après avoir eu 7 tués et 44 blessés."
Enfin le vendredi 6 août 4 à 2 heures du matin, nous quittons Eguenigue et à 5 heures nous franchissons la frontière avec enthousiasme, étant tout heureux de revoir notre chère Alsace. Nous marchons jusqu'à 10 heures sans trouver aucun obstacle à notre marche mais à l'entrée du village de Burnhaupt-le-bas, nous sommes forcés de commencer le 1er combat 5 qui dura 2 heures environ. L'ennemi occupe de bonnes positions et il est impossible de tirer un seul coup de feu, mais par un mouvement tournant nous forçons l'ennemi à reculer avec des pertes assez fortes. Nous entrons dans le village qui avait été abandonné par les Allemands. Nous allons faire la soupe au village de Burnhaupt-le-haut, où nous cantonnons. Là déjà nous voyons le plaisir des Alsaciens de nous recevoir, ils sont heureux de revoir les pantalons rouges 6
 
4 le 6 août 1914 était un jeudi. Il s'agit vraisemblablement ici du vendredi 7 août 
5 la campagne d'Alsace qui commence verra les Français opposés à la 7ème Armée allemande, forte de 100 000 hommes, et commandée par Von Heeringen 
6 la nouvelle tenue "bleu horizon" ne sera mise à disposition que le 1er juin 1915
Nous partons à 4 heures du matin, nous passons la frontière à Vauthiermont à 6 h 20. 
A 6 h 35 nous arrivons à Saint-Cosme. Devant nous le combat est engagé. Je garde avec mon escouade le train de munitions du bataillon. 
Nous avançons et traversons Guevenatten à 8 heures, Sternenberg à 8 h 40, Dieffmaten à 10 h 05. 
A midi un violent combat est engagé au nord-est de Dieffmatten devant les villages de Burnhaupt-le-Haut et Burnhaupt-le-Bas devant lesquels les Allemands ont creusé des tranchées. Nous réussissons à les déloger. 
Nos pertes pour le régiment s'élèvent à environ 15 tués et 60 blessés. 
Au soir nous tenons une ligne qui passe par les villages de Burnhaupt-le-Bas, Burnhaupt-le Haut, Pont d'Aspach, Aspach, Guevenheim 7, etc. 
Nous passons la nuit à Pont d'Aspach. 
A 8 heures du soir un de nos petit poste démolit un cavalier ennemi dont nous prenons la monture. 
 
7 Guewenheim
8 août 1914 : la 14e division de Bonneau pénètre dans la ville de Mulhouse vide, suite à un retrait statégique de l'état-major allemand. Les troupes sont épuisées. La ligne des Vosges est brillamment conquise par Dubail.
Historique du 35e RI (p.7) : "[...] entrait le lendemain à Mulhouse, drapeau déployé en tête [...]"
JMO du 35e RI (p.8) : "La matinée a été employée à l'exécution de tranchées pour fortifier les cantonnements. [...] Mulhouse où il entrait à 19 heures. [...] A 20 heures, les 2e et 3e Btns ont été conduits dans la cour de l'usine Schlumberger pour en sortir vers 21 heures et s'installer en bivouac dans un terrain vague à proximité de ladite usine."
Proclamation du général Joffre :

"Enfant d'Alsace, après 44 ans d'une douloureuse attente, les soldats français foulent à nouveau le sol de votre noble pays. Ils sont les premiers ouvriers de la grande oeuvre de la Revanche". 
 
Vers minuit, le général Curé, qui commande la 14e Division, prend la décision d'évacuer Mulhouse à la hâte et de se retrancher à ses portes La forêt de la Hardt, disent les reconnaissances "est un réservoir qui se remplit de troupes". Les soldats exténués et affamés attendent la contre-attaque. 
Le 35e Régiment d'infanterie et les autres régiments de la 14eDivision, vont désormais se heurter aux troupes allemandes du VIIème Armée du Général von Heeringen, ramenée rapidement en renfort de la région de Strasbourg.

COMMUNIQUE OFFICIEL ... Premières opérations 
 
A quelle conception stratégique répondait notre première opération sur Mulhouse ? Nous savions par nos reconnaissances aériennes que les allemands avaient laissé entre la frontière française et Mulhouse des forces relativement peu importantes, que le gros de leurs forces s'était replié sur la rive droite du Rhin. Dans ces conditions notre objectif était d'attaquer ces forces et de les rejeter en arrière, afin de nous rendre maîtres des ponts du Rhin et de pouvoir y repousser une contre-attaque ennemie, si elle venait à se produire. C'est aux troupes de Belfort qu'échut cette mission. Le 7, elle se mirent en marche, les unes par la trouée de Belfort, large dépression où coulent les affluents du Doubs et ceux de l'Ill... 
 
...Le lendemain 8, dès l'aube, notre progression continua, et, cette fois, rencontra devant elle une résistance très sérieuse. Les troupes allemandes débouchaient de la foret de la Hardt, vaste forêt de trente kilomètres de long, où peut s'abriter tout un corps d'armée. Malgré la résistance, nos troupes eurent le dessus et à la nuit tombante entrèrent dans Mulhouse, aux acclamations des alsaciens... ...Ainsi, le 8 août à midi, l'offensive sur Mulhouse peut reprendre. L'arme à la bretelle, sous une chaleur accablante, drapeau et fanfare en tête, les régiments de la 14èmedivision font leur entrée dans Mulhouse que les allemands ont abandonnée...

Le lendemain nous faisons des tranchées 7 jusqu'à midi, et nous rentrons à la soupe. A 1 heure 8 on nous apprend qu'il faut partir pour prendre Mulhouse et chemin faisant nous ramassons toutes les gourmandises des Alsaciens. Nous arrivons à Mulhouse presque à la nuit, avec notre fier drapeau déployé musique en tête et chacun un bouquet de fleurs aux canons de nos fusils : notre bataillon qui est le 2ème du régiment entre en tête à cause de sa bravoure au 1er combat. A ce moment partout l'on crie : "vive la France" et c'est tout joyeux que les Alsaciens nous disent que bientôt ils seront Français. Jamais je ne pourrai oublier ce jour heureux de notre campagne. 
 



7 nous comprenons mieux en quoi la guerre des tranchées s'est imposée par la suite. 
8 13 heures
La compagnie fait des tranchées autour du village. Je suis détaché en petit poste dans une scierie à proximité de la rivière la Doller. 
Nous quittons Aspach à midi, direction Mulhouse. 
Le canon tonne, nous avançons, nous traversons Heimsbrunn, Niedermorschwiller 8. Les allemands ont cédés après un combat peu important. 
Nous entrons dans Mulhouse musique en tête, au milieu d'une foule enthousiasmée par notre arrivée. Tout au long de la traversée de la ville, les habitants nous distribuent des rafraîchissements, vin, bière, etc, des cigares, des conserves, bonbons, etc. 
A 9 heures 9 nous ne savons pas encore où nous passerons la nuit. Finalement on nous conduit dans un terrain à bâtir ou nous prenons le repas du soir qui se compose uniquement de pain, et passons la nuit. 
Nous n'avons pas touché de vivres ce jour là. 
 
8 Morschwiller-le-bas 
9 21 heures
9 août 1914
Historique du 35e RI (p.7) : "Dans la bataille acharnée, qui se livra sur les pentes de Riedisheim et au villade de Rixheim, les Allemandes laissèrent six mille morts sur le terrain. Finalement, devant la supériorité numérique, de ces forces, il fallut se replier."
JMO du 35e RI (pp.8-9) : "Vers 17 heures l'ennemi débouche de la Hardt [...] le 3e Btn défend sa position face au S. et au N. de la route d'Ottmarsheim ; le 2e Btn dépasse le canal et occupe le chemin de fer [...] face à Ile Napoléon. [...] le combat sans discontinuer jusqu'à 20h40. Vers 20h30 le chef du 2e Btn [...] donna l'ordre de se retirer sur Riediseim. En y arrivant, l'ennemi occupait tous les carrefours et les maisons qu'il a fallu les déloger à la baïonnette pour se frayer un passage jusqu'à Mulhouse où il arrive à 24 heures. Le 3e Btn tient bon lorsque vers 20h30 la 10e Cie, qui a reçu quelques obus et qui est menacée d'être tournée, bat en retraite. [...] Les munitions de ce Btn sont presque épuisées. Le Cdt du Btn donne l'ordre de retraite sur Riedisheim [...] où il arrive à 21h15. Ce mouvement s'exécute en bon ordre ; le décrochage est facile. "
Ce même soir nous couchons à la belle étoile pour la 1ère fois, depuis notre départ et le lendemain matin à 3 heures, nous quittons Mulhouse et nous nous rendons à Rédisail 9. Là nous restons jusqu'à midi. Les Alsaciens préparent la soupe et c'est par groupe de 2 ou 3 hommes que nous allons manger. Après ce copieux repas pris avec nos frères, nous partons avec notre lieutenant ; nous nous rendons au central électrique de Mulhouse afin d'assurer le service, mais une heure après on entend la fusillade à l'est de Mulhouse et ensuite le canon se met à tonner. Les obus nous arrivent au dessus de la tête avec fracas, mettant le feu à la ville et nous forçant à partir. A ce moment la bataille s'engage et la fusillade approche ; notre compagnie y prend part ; mais quant à nous, il nous est impossible de la rejoindre tant le feu est fort ; les balles et les obus arrivent de tous côtés. Nous parvenons à sortir de la ville, mais ce n'est pas sans peine. Pendant ce temps, notre bataillon se bat avec fureur mais bientôt il est forcé de se replier, car les Allemands, par un mouvement tournant réussissent à reprendre Mulhouse. Toute la brigade recule dans une vraie débandade ; enfin notre clairon sonne la charge et, baïonnette au canon, l'on avance et l'on passe partout. Mais comme il fait déjà bien nuit, l'on ne voit rien, on escalade les haies, les murs, mais en vain, l'on est obligé de reculer une 2ème fois. Cette fois, ce n'est plus l'entrée triomphale à Mulhouse, c'est la sortie en vitesse, sans musique et sans fleurs. Les Allemands étaient partout dans les maisons et les caves. Nul ne peut oublier ce combat qui dura jusqu'à deux heures du matin. Ce fut une nuit terrible pour nous, car beaucoup des nôtres restèrent sur le champ de bataille parmi lesquels notre capitaine, notre adjudant, notre sergent-major, plusieurs sergents et amis. Pendant ce combat nous n'étions que la 14ème division et nous avons eu à lutter contre 60 000 Allemands. Donc avec beaucoup de bravoure, nous étions obligés de nous replier 10
 
9 Riedisheim 
10 ce combat aurait coûté 600 hommes au régiment !

A une heure du matin nous partons, nous aimons autant car on est gelé. Direction Rixheim. On nous engage sur une mauvaise route, nous retournons et arrivons à Rixheim au jour. 
Sans rencontrer d'ennemi, nous allons ensuite dans les vignes entre Rixheim et Habsheim. Devant nous est le champ d'aviation d'Habsheim 10
A 8 heures et demi notre artillerie démolit un train qui essayait de débarquer des troupes à quelques kilomètres de Mulhouse. 
Comme nous n'avons pas de vivres, à 9 heures nous envoyons une corvée acheter des vivres à Rixheim. Celle-ci revient apportant du pain, vin, et autres victuailles que les habitants leurs ont donnés. 
De tout côté le canon tonne. 
Je vais en corvée chercher de l'eau à Habsheim, nous sommes les premiers soldats français qui entrent dans le village. Les habitants nous donnent du vin et des fruits et nous disent qu'une patrouille est passée il y a peu de temps et qu'il a encore des cyclistes à l'autre bout du village. 
A 5 heures du soir, notre artillerie bombarde Isle Napoléon. L'artillerie allemande bombarde Mulhouse et Rixheim, de tous côtés des maisons brûlent. 
Nous occupons une tranchée que nous avons creusée dans les vignes, les obus passent en sifflant au dessus de nos têtes, coupent des échalas au passage et vont éclater dans Rixheim. 
Devant nous un détachement allemand s'est déployé en tirailleur au sortir de la forêt de la Hardt 11. L'ennemi approche, mais nos mitrailleuses les obligent à se retirer dans la forêt, ce qu'ils font en grand désordre. 
A notre gauche, à Isle Napoléon, la fusillade dure depuis 4 heures. Le village est en feu. 
De notre front de bataille, nous formons l'aile droite. La 11ème compagnie est à notre gauche au village de Rixheim ; là aussi sont les mitrailleuses du bataillon. La 12ème compagnie est le long de la voie ferrée entre nous et la 11ème compagnie. 
Les allemands sont dans la forêt de la Hardt. A 8 heures nous sommes attaqués par une nombreuse infanterie qui débouche de la forêt et se déploie sur le champ d'aviation et sur le terrain ntre Rixheim et Isle Napoléon. Les balles sifflent, les obus tombent autour de nous, les mitrailleuses crépitent, notre artillerie fait défaut. 
La nuit tombe et le combat redouble d'intensité. A 10 heures nous sommes menacés d'être contournés par la droite. Nous sommes débordés, nous les avons devant nous chargeant en montant le coteau ou nous sommes. 
Quand notre section s'est retirée, ils n'étaient pas à 20 mètres de nous et nous chargeaient à la baïonnette en chantant... 
Nous nous retirons, 2 escouades de notre section entrent dans Rixheim. Nous croyons que se sont le nôtres qui tirent dans les village, mais nos troupes s'étaient déjà retirées. Partout nous nous butons à l'ennemi. Heureusement la nuit était noire car autrement nous n'en n'aurions pas échappés. 
Nous passons de l'autre côté de la voie ferrée où l'on entend la fusillade. Nous croyons encore que se sont les nôtres mais nous nous jetons dans une ligne allemande. Nous nous en tirons comme nous pouvons, en désordre, abandonnant nos sacs, poursuivis par le feu de l'ennemi. 
Nous traversons Mulhouse sous une grêle de balles et nous nous reformons à quelque distance de là. 
Dans notre section nous avons perdu 14 hommes, tués blessés ou disparus. Au régiment il manque 600 hommes ! 
A la compagnie, s'est en se retirant que nous avons eu le plus d'hommes hors de combat. Beaucoup se sont égarés et ont été faits prisonniers. D'autres ont rejoint après un temps plus où moins long. 
Dans mon escouade, trois hommes manquent, ils sont tombés pendant la traversée du village 
Jaillet porté disparu 
Gelas porté disparu 
Yenet fait prisonnier 
 
10 actuellement aérodrome de Mulhouse-Habsheim 
11 forêt de la Hardt, dans laquelle les troupes allemandes étaient repliées et camouflées. Cette forêt sépare Mulhouse du Rhin

10 août 1914 : au matin, le général Dubail chef de la 1ère armée, doit annoncer à Joffre l'évacuation de Mulhouse. 
Le général en chef procède alors au premier "limogeage" de la guerre : il remplace le général Bonneau jugé responsable de l'échec, par le général Vautier à la tête du 7ème Corps d'armée. Joffre est étonné, indigné : le 7ème Corps n'avait devant lui qu'un seul Corps d'armée allemand. Pourquoi ce recul ? Il accuse le commandement d'incapacité, taille, tranche, il renvoie aussi le général Curé à la tête de la 14ème Division d'Infanterie qui à fait retraite "dans un désordre indescriptible". Il est remplacé par le Général Mazel. Joffre crée une nouvelle Armée dite d'Alsace et place le Général Pau à sa tête. Mulhouse est donc évacuée par les Français sous la pression des Allemands.
C'est la fin de la "bataille de Mulhouse".

*** Petite histoire de guerre ***
Le général Pau avait un signe particulier : le bras droit mutilé lors de la guerre de 1870. "La première manche aux allemands" disait-il avec bonne humeur. Alors qu'il était à Thann, sa voiture fut la cible d'un zeppelin et des éclats virent traverser de part en part sa manche vide. Le général indemne eut ce mot : "Des maladroits, ils reviennent sur le même travail".

Cependant au jour, nous retrouvons notre compagnie et le bataillon se rassemble ; aussitôt il reçoit l'ordre de se replier en arrière jusqu'à la frontière. Nous partons de suite, il est 4 heures du matin. Nous avons marché toute la nuit et il nous faut encore marcher, arrivons à 9 heures du soir, accablés par la fatigue et la chaleur et comme nourriture nous n'avons que des fruits que nous trouvions en cours de route. Les hommes ne pouvaient plus arriver, et ils abandonnaient leurs sacs, afin d'être soulagés et de pouvoir gagner le cantonnement. Enfin nous arrivons à Vauthiermont 11, 1er village français ; là nous mangeons une bonne soupe et l'on se couche afin de prendre une repos bien gagné. 
 
11 à quelques centaines de mètres de la frontière allemande.
Nous battons en retraite, les hommes sont épuisés, beaucoup n'ont plus de sacs. Nous passons une partie de la matinée dans un village. Un avion allemand survole nos troupes, un des nôtres le poursuit. 
Nous repartons à Burnhaupt, notre compagnie couvre la retraite du régiment. Nous recevons quelques obus et continuons à nous retirer. 
Nous soupons à Saint-Cosme que nous quittons à la nuit. Nous repassons la frontière et couchons à Vauthiermont.
11 août 1914 : une "armée d'Alsace"est constituée et confiée au Général Pau, avec en particulier le 7e corps d'armée
COMMUNIQUE OFFICIEL du 11 août 1914 
 
...notre centre étant attaqué par Mulhouse... la bataille était mal engagée. Dans ces conditions, la retraite était la solution la plus sage. De cette opération brillante, mais sans lendemain, une conclusion se dégageait : nous avions désormais la certitude que les allemands n'entendaient pas abandonner sans combat la Haute-Alsace et y disposaient de forces importantes. 
Pour atteindre notre but initial, l'opération était à reprendre sur des bases nouvelles et sous une direction nouvelle. C'est au Général Pau que le commandement fut confié. 
Les forces françaises avaient besoin de se refaire et de se remettre en main à l'abri de la position de Belfort...Le général Pau arrêta son plan d'opération... il s'agissait, cette fois d'un effort décisif et non plus d'une simple reconnaissance...
...Des mutations sont opérées, des renforts envoyés, les troupes sont laissés quelques jours au repos avant de reprendre l'offensive en direction de Colmar et de Mulhouse.
Le lendemain et toute la semaine, nous restons à peu près sur les mêmes positions sans voir l'ennemi.
Nous occupons un bois entre Vauthiermont et Saint-Cosme où nous sommes en grand-garde. Le ravitaillement arrive, ainsi que toute sorte d'autobus amenant des troupes.
12 août 1914 : Joffre téléphone à Pau qu'« il est utile que l'attention de l'ennemi continue à être attirée vers la Haute Alsace, et que les forces qu'il a pu diriger dans cette région y soient maintenues. [...] Dans le même ordre d'idées, faites répandre le bruit de l'arrivée des troupes d'Afrique à Belfort *
* à noter qu'il n'ait pas fait mention de cette rumeur dans les présents carnets
Déployés en tirailleurs, nous passons la nuit et toute la journée à la lisière d'un bois. Nous serons relevés le 13 au matin.
13 août 1914 : Combats autour de Montreux-Vieux *
* à moins de 10 km de Vauthiermont
Devant le bois que nous occupions hier, un combat 11b avec les troupes allemandes a eu lieu. Il s'est terminé à 4 heures 30, à notre avantage. Nos pertes sont insignifiantes en regard de celles de l'ennemi. Nous avons fait quelques prisonniers.
14 août 1914 : l'armée d'Alsace commence le 14 à se porter lentement vers l'est, alors qu'il n'y a presque rien devant elle : les 14e et 15e corps allemands partent le même jour vers le nord pour participer à la contre-offensive en Lorraine. La défense de la Haute-Alsace est confiée à seulement trois brigades de Landwehr, sous le commandement du général Gaede (de) (le groupement prend le nom d'Armeegruppe Gaede) ; en face, l'armée d'Alsace compte alors l'équivalent de 15 brigades d'infanterie. (Wikipédia)
Le 14 août nous reprenons l'offensive et marchons sur St Côme 12, petit village alsacien. Nous y cantonnons et pendant la nuit je couche dans un verger sur du trèfle bien humide. Là je prends la garde avec toute l'escouade. 
 
12 Saint-Cosme
Le général Pau a pris le commandement de l'Armée d'Alsace 12
A 7 heures du soir, nous quittons Larivière où nous étions depuis que nous avions quitté les avant-postes. Nous re-franchissons la frontière, traversons Saint-Cosme et couchons à Bellemagny. 
 
12 nommé en fait le 10 août, il arrive le 13
15 août 1914 : l'effectif de l'armée française atteint 2 689 000 hommes.
Le 15, nous quittons St Côme pour nous rendre à Stenebergue 13 à 4 km, nous cantonnons et restons 3 jours dans ce village où je vois arriver des prisonniers allemands. 
 
13 Sternenberg
Nous quittons Bellemagny pour Diffmatten où nous cantonnons.
16 août 1914
Nous sommes en cantonnement à Diefmatten.
17 août 1914
Nous sommes toujours en cantonnement au même endroit. Nous voyons passer des prisonniers et des déserteurs allemands que des cavaliers conduisent à Belfort.
18 août 1914 : la 1ère Armée de Dubail prend la ligne des cols des Vosges.
Nous quittons Dieffmatten pour Pont d'Aspach, nous prenons le cantonnement.
19 août 1914 : Bataille de Dornach. Mulhouse est reprise par les Français vers 17 heures.

...Quelques jours plus tard, la 4e division se distingue particulièrement lors de la prise de Dornach (faubourg de Mulhouse) par une très brillante action qui se solde par 200 prisonniers allemands.
JMO du 35e RI (p.10) : "Le Bataillon Leyraud progresse malgré un feu très vif d'infanterie. A 11h15 le IIIe Btn [...] renforce le Btn Leyraud. Le mouvement en avant s'accentue."
Le 19 août, nous marchons encore en avant, nous passons une 2e fois à Burnhaupt où avait eut lieu notre baptême du feu le 6 août 14 mais nous ne trouvons pas l'ennemi et nous passons sans résistance. Nous reprenions notre marche sur Mulhouse pour la 2e fois. 
 
14 7 août
Nous quittons Pont d'Aspach et marchons en direction de Mulhouse. On nous informe que nous sommes en réserve, en soutien de l'artillerie. 
A 9 heures, un violent combat est engagé devant Mulhouse et Dornach. 
A 11 heures, notre bataillon reçoit l'ordre de renforcer le bataillon Lhéraut sur la ligne de feu. Nous le dépassons ainsi que des éléments du 60e régiment d'infanterie de sorte que nous sommes en tête pour l'assaut à la baïonnette qui se termine par la prise de Dornach. 
Nous capturons des Allemands et les faisons prisonniers, dont la plupart s'étaient cachés dans les caves. Il parait que le Régiment a fait 600 prisonniers. 
Notre section compte 15 hommes hors de combat dont 2 blessés à mon escouade. Notre capitaine a été grièvement blessé. 
2e classe Doriot blessé 
2e classe Diez blessé 
2e classe Jacoutet évacué 
 
A Dornach, nous avons pris une batterie allemande. Sur le bord de la route, il y a des quantité de sacs, équipements, fusils, que les soldats allemands ont abandonnés en fuyant. 
Quelque temps plus tard, notre artillerie démolit un important convoi d'artillerie. Nous prenons 14 canons, les échelons et 410 chevaux vivants. 
20 août 1914
20-23 août
: 40 000 Français sont tués, dont 27 000 rien que le 22 août, sur le front Alsace-Lorraine.

Le 20 août, nous entendons les 1ers coups de canon tirés dans le village de Dornac 15 à l'ouest de Mulhouse. C'est alors que le combat s'engage pour la 2e fois ; il dure jusqu'à la tombée de la nuit. La bravoure des Français force les Allemands à battre en retraite, retraite désastreuse pour eux. Nous entrons cette fois victorieux car partout l'ennemi est battu ; une de leur batterie est détruite par 4 obus de 75. Ils font du bon travail nos braves artilleurs. En même temps nous faisons 500 prisonniers 16. Le soir de ce combat, nous bivouaquons dans un petit bois, au sud de Mulhouse… 17 
 
15 Dornach 
16 en fait 200 
17 sans-doute Zuren Wald

Nous avons passés la nuit dans les prés devant Mulhouse. Nous partons à 6 heures du matin et traversons Mulhouse. Nous repartons après avoir changé plusieurs fois d'endroit et arrivons dans un bois à l'est de Mulhouse. Nous y passons la nuit.
21 août 1914
21-23 août
: bataille de Charleroi - le Général Lanrezac sauve la Vème armée de l'anéantissement en se repliant malgré l'ordre de Joffre (il sera révoqué le 3 septembre) : c'est un acte décisif qui permettra la victoire de la Marne et sans-doute empêcha la victoire allemande dès 1914.

… et le lendemain nous marchons en avant, nous nous arrêtons devant Rischeim 18 et là nous prenons position en faisant des tranchées aussi. Peu de temps après nous les quittons pour nous rendre au village. Nous étions alors à 9 km à l'est de Mulhouse et à 300 m de la forêt de la Hardt où l'ennemi était retranché. Nos cuisiniers commencent la soupe et nous n'avons eu que le temps de la manger car aussitôt l'on reçoit l'ordre de faire 1/2 tour sans avoir tirer un coup de feu. 
 
18 Rixheim
Nous sommes en avant-poste dans les bois derrière Rixheim. Il pleut, nous montons des abris avec des toiles de tentes allemandes pour y passer la nuit.
22 août 1914
Nous partons pour Rixheim, nous logeons dans la gare et y passons la nuit.
23 août 1914
Nous creusons des tranchées en avant du village face à la forêt de la Hart. Nous recevons un convoi de réservistes qui viennent remplacer les hommes tombés pendant les combats des 9 et 18 août.
24 août 1914 : Mulhouse est définitivement évacuée par les troupe françaises (elle ne sera libérée que le 19 novembre 1918). Le gros des troupes allemandes pénétre en France. Les armées françaises commencent la retraite jusqu'au 5 septembre.
...Le général Pau est pessimiste..., les allemands ne risquent rien, ils ont établi plus haut un barrage infranchissable sur une ligne Neuf-Brisach, Colmar, Ingersheim. Pourquoi, dès lors, conserver à Mulhouse, l'obligation de faire subsister une population de près de 300 000 habitants ? demande Pau. Y a t-il des raisons politiques ? Joffre ne répond pas. Mulhouse est à nouveau évacué. Quelques jours plus tard l'Armée d'Alsace repliée sur Belfort est dissoute.
Dans un communiqué, le Général Joffre communique : "la situation est inchangée de la Somme au Vosges", ce qui constitue selon Poincaré un "triple aveu, de l'invasion, de la défaite et de la perte de l'Alsace". L'Armée d'Alsace est dissoute, Mulhouse est réoccupé par les allemands. 
La grande offensive allemande par la Belgique déclenchée dès le 16 août en application du plan Schlieffen se traduit par la ruée de la I Armée allemande du général Von Kluck, sur l'aile droite du dispositif ennemi. Cette armée après avoir combattu victorieusement en Belgique a franchi la frontière entre Valenciennes et Maubeuge le 24 août. Sa progression continue à marche forcée bousculant et contraignant l'armée britannique du général French à la retraite. 
L'Armée du général Von Kluck cherchant à contourner par l'ouest le dispositif français (Vème armée du général Lanrezac) progresse en direction de Paris. Elle se heurtera à la 14ème division (à laquelle appartient le 35ème régiment d'infanterie) sur les rives de la Somme au nord-ouest de Péronne à partir du 29 août.
En arrivant à Mulhouse, on nous apprend qu'il faut rejoindre la France de suite afin d'aller renforcer l'armée du nord de Paris. Donc avec une 1/2 heure de repos pour toute la journée, nous retrouvons à 8 heures du soir la frontière française après avoir fait une marche de 40 km. Nous faisons halte au petit village de Vauthiermont. Là, pendant 1 heure et 1/2, on se repose et on fait la soupe après quoi, nous repartons à Bessoncourt qui se trouve à 7 km de Belfort. On fait la soupe et le café ; nous y restons pendant 4 heures pendant lesquelles on nous distribue du pain frais pour l'embarquement car nous devons embarquer à 9 heures du soir.
Nous avons passé la nuit dans la gare. Dans la journée nous avons continué à aménager les tranchées que nous avions commencé à creuser hier. 
Une patrouille de reconnaissance de notre compagnie à traversé la forêt de la Hart sans rencontrer d'ennemis.A la tombée de la nuit nous recevons l'ordre de repartir pour rejoindre Belfort où nous devons embarquer pour une destination que nous ne connaissons pas. 
A marche forcée, nous nous dirigeons sur Belfort.
25 août 1914 : Joffre abandonne le plan XVII, il renforce son aile gauche. Plus de 100 généraux ont été "limogés". Retraite générale des Français : l'état-major prévoit de la stopper derrière la Somme et l'Aisne
Le général Joffre, pour s'opposer à l'avancée victorieuse de la Ière armée du général von Kluck, a pris la décision le 25 août, de constituer dans la région d'Amiens une armée supplémentaire confiée à Maunoury. Cette VIe armée doit être entièrement formée du 27 août au 2 septembre. Il faut prélever toute une division, la 14e de Belfort (à laquelle appartient le 35e), 5 bataillons de tirailleurs marocains stationnés à Mourmelon, 4 bataillons de chasseurs alpins de Thaon et Epinal, la 55e et la 56e divisions d'infanterie de réserve qui sont dans la région de Verdun ainsi que le 61e 62e divisions de réserve formées à Clermond-Ferrand et la 63e du Thillot (Vosges). Immense programme de transport qui porte sur 100000 hommes.
JMO du 35e RI (p.11) : "Le IIe Btn s'embarque à 21h30 à Belfort [...] le IIIe ne quitte Bessoncourt qu'à 23h15 pour s'embarquer à Belfort au chantier n°2."
Donc nous quittons Bessoncourt à 6 heures pour nous rendre à Belfort, notre garnison. Nous arrivons et passons à la porte de notre caserne, mais là quel cafard en revoyant ce petit coin de plaisir d'autrefois et en pensant à son petit plumard où l'on serait si bien, mais hélas ! il faut passer debout. Nous traversons la ville et nous nous rendons à la gare, dernier point de notre campagne d'Alsace. A 9 heures nous commençons à embarquer et à minuit le train est prêt à partir.
Dans la matinée nous prenons un peu de repos à Bellemagny. Nous arrivons à Bessoncourt où nous nous reposons. Nous sommes très fatigués, nous avons parcouru près de 60 kilomètres en 24 heures. 
Nous quittons Bessoncourt pour Belfort à 11 heures du soir.
26 août 1914 : Gallieni est nommé gouverneur de Paris. Viviani est 1er Ministre. 
Fin de la bataille d'Alsace. Les Allemands envahissent la France. 
Constitution de la VIème Armée de Maunoury pour le Nord-Est de Paris, extrême gauche des Alliés : elle se concentre sur Ailly/Noye et Rosières .

Nous quittons Belfort, je lui rends un dernier adieu croyant ne plus le revoir et nous prenons la direction de Besançon. Nous avons des vivres pour 36 heures, du pain et des conserves en quantité. Le 26 août donc nous partons sans savoir pour quelle destination. Principales villes traversées : Montbéliard, Besançon, Dole, Auxonne, Dijon, Montbard, Sens, Tonnerre 19, Joigny, La Roche Montereau 20, Creil, Amiens, Longueau, Corbie. Dans toutes ces gares, la population nous fait bon accueil et nous donne ce que l'on veut : café, pain, lait, vin, chocolat, etc… . Enfin, nous sommes bien nourris pendant notre voyage. 
 
19 en fait Tonnerre puis Sens 
20 Monterau-Faut-Yonne

Nous avons passé la nuit sur les lieux de notre embarquement et embarquons à 6 heures pour une destination que nous ne connaissons pas.